mardi 16 juin 2015

Dès que la Terre est née, la musique s'est pointée


Cher Muddy,

Je dois t'avouer que je suis entrée très tard dans ta musique. Comme si je ne la méritais pas. Comme si elle avait été réservée à des spécialistes dont je ne faisais partie. Va savoir ce qui se passe dans ma tête parfois. Pourtant si tu passais à la radio - souvent tard le soir - je vibrais, je me disais "il faudra que je m'y mette". BB et d'autres ne me faisaient pas cet effet, l'entrée avait été simple, facile. Maintenant que c'est arrivé, j'en suis soulagée, mon blues a pris une 3e dimension. Depuis le 14 juin, 21h30 Central Time, je sais pourquoi ton blues me faisait peur. Ce n'est pas un blues de spécialistes, il y a assez de morceaux "populaires" qu'on peut connaître sans même savoir qu'ils sont de toi.
Depuis le 14 juin 2015, j'ai compris que je craignais l'emprise de ta musique sur mes sens, son côté hypnotique. Je ne sais pas combien nous étions devant la grande scène, ce que je sais c'est que nous étions tous envoûtés par ta musique interprétée par d'anciens compères dont Bob Margolin et Paul Ochser, et tes gamins, Big Bill et Mud Morganfield. Nous nous déhanchions, nous nous enroulions autour des notes, bras levés, yeux fermés, puis grand ouverts pour ne rien rater du spectacle. Il ne fallait pas que la musique s'arrête, plus jamais... Je n'arrive même pas à imaginer ce qu'un concert avec toi devait donner.

Cela fait 100 ans que tu es né, McKinley Morganfield dans le Mississippi. Tu es devenu Muddy parce que tu étais un gamin comme les autres, tu jouais dans les eaux boueuses.
La maison où tu as grandi
La première fois que tu enregistres c'est dans une plantation du Delta du Mississippi, avec Alan Lomax, pour la Bibliothèque du Congrès, en 1940. Ensuite tu pars pour Chicago, sans t'arrêter à Memphis. Tu abandonnes la guitare acoustique au profit de la guitare électrique, ajoutant une section rythmique et un harmonica pour former les Chicago Blues, qui sévissent dans la banlieue ouest, avant de rejoindre Chess Records. Rien n'est facile,  tu dois t'y reprendre à trois reprises devant Leonard Chess avant de signer enfin un contrat. Et quel contrat ! Little Walter Jacobs à l'harmonica, Jimmy Rogers à la guitare, Elga Edmonds (= Elgin Evans) aux baguettes et Otis Spann au clavier. A l'écriture, Willie Dixon. On dit maintenant que les morceaux qui ont marché (notamment Hoochie Coochie Man, I Just Want to Make Love to You et I'm Ready, tous de Dixon) sont les morceaux les plus machos de ton répertoire, que jamais toi, Muddy, n'aurais composé de tels morceaux. C'est vrai ?

Pourtant ton influence est énorme sur de nombreux genres musicaux : blues, rhythm and blues, rock, folk, jazz, et country. Tu es l'une des figures historiques du Chicago Blues. Dans les années 60, le blues n'a plus la cote chez toi. Comme d'autres, tu tentes l'Europe. Tes concerts en Angleterre font entendre pour la première fois un groupe de Chicago Blues. Les Rolling Stones ont choisi leur nom à cause de ta chanson, Rollin' Stone, également connue sous le nom de Catfish Blues.
Tu disais que ces Anglais étaient techniquement bien trop doués pour toi. Il leur manquait juste le feeling. Tu disais aussi : "Mon blues a l'air simple, facile à jouer, mais c'est faux. On dit que mon blues est celui qui est le plus difficile au monde." 
Keith Richards a contribué à ta légende en expliquant que la première fois qu'il est venu à Chicago, il a souhaité se rendre chez Chess Records. Il a à peine fait attention à ce grand noir qui peignait la porte d'entrée. Une fois qu'il a fait la connaissance de Leonard Chess, le boss, il a demandé à ce qu'on lui présente Muddy Waters. Leonard Chess s'est tourné vers la porte d'entrée, "c'est lui !" Il paraît que c'est exagéré, voire tout faux. C'est joli tout de même.
Tu es mort à l'âge de 68 ans et es enterré en banlieue de Chicago.
Ton fils "Big Bill" Morganfield est également guitariste, en plus d'être prof ; il a joué pour Tom Waits notamment. Un autre de tes fils, Larry "Mud" Morganfield était chauffeur de camion avant de devenir chanteur. Tu ne peux le renier, il a le même ton et le même timbre de voix que toi. Comme son demi-frère, il ne s'est mis à la musique qu'après ta mort en 1983. D'ailleurs de tes nombreux enfants, tu n'en as renié aucun, tu les as laissés aux bons soins de leurs mères. En 1932, tu as épousé Mabel Berry qui t'a quitté 3 ans plus tard quand ton premier enfant est né. Sa mère, Leola, avait juste 16 ans. Lorsque tu es arrivé à Chicago, tu as laissé une autre Mrs Morganfield, Sallie Ann, au bord de la route. Puis il y a eu celle qui a été considérée comme TON épouse, Geneva. C'est en Floride que tu as rencontré ta dernière épouse Marva Jean, "Sunshine", juste 19 ans quand tu en avais 63. Ces gossips n'ont rien à voir avec ta musique, l'histoire de ta vie ressemble tellement au blues.
Muddy, tu as toute ma considération. Comment pourrait-il en être autrement ? Je suis envoûtée.

D.


Sur les traces de Muddy (en anglais), c'est ici.

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