jeudi 28 mai 2015

Lorraine Motel


Cher Martin,

D'ailleurs, je ne sais même pas si je dois t'appeler Martin ou Martin Luther, je n'ai pas encore bien saisi l'organisation des noms par ici. On garde Martin, j'espère que tu ne seras pas froissé, j'imagine que tu as rencontré d'autres raisons nettement plus importantes de te chiffonner. Et puis tu es non violent, je ne crains rien.
Je m'étais préparée à la visite au Lorraine Motel depuis longtemps. Récemment, c'était lors du vol au-dessus de l'Atlantique à regarder Selma. Et dans ce Sud, tu es partout, chaque bled a une rue qui porte ton nom.
Mais ma première émotion à ton sujet date de bien plus longtemps. L'année de ta mort, 1968, une de nos profs nous avait demandé de choisir un coin du monde, de lire le journal en cherchant des informations sur cet endroit, de remplir une fiche hebdomadaire et d'en faire une brève présentation. J'avais choisi les USA, j'étais ambitieuse. A deux mois d'intervalle, il y a eu deux assassinats qui ont laissé des traces, le tien et celui de Robert Kennedy. Je dois avoir pris beaucoup de place dans la classe, je ne m'en souviens pas. Par contre, je me souviens avoir été vraiment atteinte par toute cette violence, de ne pas comprendre. 
De Derrick Dent et Michael Roy
De ne rien comprendre encore maintenant à la ségrégation raciale, d'en être encore honteuse et perplexe et de me demander comment j'aurais réagi si j'avais été une citoyenne américaine. Me serais-je battue pour les droits de tous, me serais-je réfugiée derrière un écran de privilèges ?
Des droits humains...
... aux droits civiques
Je ne m’attendais pas à trouver des réponses, je voulais un autre regard, un regard plus local puisque le lieu où on t'a assassiné est devenu un musée, The National Civil Rights Museum
Le 4 avril 1968 à 18 h 01, tu es assassiné par un ségrégationniste
Blanc sur le balcon du Lorraine Motel. 
J'ai eu l'impression de beaucoup marcher dans ce musée, comme ceux qui marchaient pour revendiquer leurs droits. J'aurais dû mieux connaître l'histoire du pays, les Unionistes, les Confédérés, le 13e amendment, le 14e amendment, la loi Jim Crow, les Freedom Riders... Je vais me documenter parce que c'est passionnant et que ça pourrait encore arriver. Ça arrive encore, l'affaire n'est de loin pas réglée, malgré le Président noir, malgré tout...

J'y ai aussi retrouvé de vieilles connaissances :
J'ai vu 2 jeunes gars assis de longues minutes au fond du bus, aux places réservées aux gens de couleur.  Je n'ai pas osé leur demander si la situation raciale s'était améliorée, de leur point de vue.
 Rosa Parks, la femme noire arrêtée pour avoir violé
les lois ségrégationnistes de sa ville en refusant
de céder sa place à un Blanc en 1955.
En fait, il n'y a rien de très heureux par ici, des protestations, des manifs, des boycotts, des témoignages, des lynchages... J'en suis ressortie profondément bouleversée, comme quand j'étais gosse et que je découvrais qu'on pouvait traiter les gens différemment s'ils n'avaient pas la bonne couleur de peau.
Parce  que tu es de couleur, personne
ne viendra prendre ta commande.
J'ai parlé de racisme avec quelques personnes. Avec Stephanie qui m'a dit avoir profondément choqué sa mère quand elle a annoncé vouloir adopter un enfant africain. Avec son mari JC aussi, qui me racontait que le racisme s'étendait aussi aux Latinos, notamment mexicains et que, parfois, on l'assimilait à un Mexicain alors qu'il est Équatorien (et fier de l'être). Avec Dave qui est afro-américain, mais de Haïti. De ce fait, il ne ressent pas le racisme aux États-Unis comme pesant, il ne fait pas partie de cette histoire. Enfin, j'ai partagé un repas avec Angie, prof à l'uni de Memphis, afro-américaine. Elle me disait qu'elle avait beaucoup d'espoir pour le futur. Oh, pas parce qu'il y toujours plus de lois qui énervent certains Blancs qui trouvent que les Noirs ont bien trop de privilèges, qui énervent certains Noirs qui trouvent qu'il faudrait profiter au maximum de tous ces privilèges (formations, allocations diverses) plutôt que de traîner dans les parcs et les rues, et d'autres qui pensent qu'ils seront toujours des citoyens de 2e classe. Son espoir provient du fait que, selon elle, native de Memphis, il y a de plus en plus de couples mixtes, que la société va changer de cette manière, peu à peu. Nous écoutions du blues, un morceau composé par le guitariste blanc sur scène pour Albert King le grand noir dont les notes me font chavirer. Un couple mixte aussi.

Gardons cet espoir, Martin.
Avec toute mon énorme respect et beaucoup d'émotion.
D.

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